Marie-Guite Dufay : future PAC, une lettre ouverte au Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation

Marie-Guite Dufay (photo Facebook Marie-Guite Dufay)

Marie-Guite Dufay, Présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté, s’exprime :

« À quelques jours des premières décisions concernant la mise en œuvre, en France, de la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC), Marie-Guite Dufay, Présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté et Christian Decerle, Président de la Chambre régionale d’Agriculture, ont rencontré Julien Denormandie, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation. Malgré un front uni de la profession agricole pour défendre les spécificités de l’agriculture régionale, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation n’a pu garantir un soutien financier à la hauteur des enjeux pour la Bourgogne-Franche-Comté. La diminution programmée des aides aux exploitations d’élevage allaitant, particulièrement dans le Charolais, ou l’absence de stratégie spécifique aux zones intermédiaires, auraient de graves conséquences pour l’agriculture de notre région. C’est pourquoi la Présidente de Région a accepté la proposition du Président de la Chambre régionale d’Agriculture de cosigner une lettre ouverte à Julien Denormandie« .

 

Lettre ouverte à Julien Denormandie, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, de Marie-Guite Dufay, Présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté et Christian Decerle, Président de la Chambre régionale d’Agriculture :

« (…) Vous abordez avec votre équipe la dernière ligne droite des choix qui régiront la répartition de la nouvelle PAC et êtes sur le point d’opérer les ultimes arbitrages entre les options qui s’ouvrent à vous, après plusieurs mois de concertation. Nombreuses ont été les contributions reçues de la part des élus, des représentants des différentes filières et même de citoyens réunis dans un débat public, pour alimenter vos réflexions. Aussi notre propos n’est pas ici d’avancer de nouveaux éléments techniques mais bien plutôt, en tant qu’acteurs et observateurs attentifs des évolutions à l’œuvre sur notre territoire régional, d’attirer votre attention sur les conséquences durables que pourraient avoir certains choix opérés sur les équilibres déjà fragilisés de nos campagnes et sur la vie de celles et ceux qui les font vivre.

En région Bourgogne-Franche-Comté, les 2/3 de la surface agricole utile – SAU, soit environ 1,6 millions d’hectares, est classée « zone intermédiaire à faible potentiel ». Cette zone traverse notre territoire sur un axe Sud-Ouest Nord-Est. Elle accueille dans sa partie sud une activité d’élevage bovin allaitant majoritairement de race charolaise, conduite de manière extensive, du fait de la pauvreté des sols, tandis que sa partie nord-est est quasi-exclusivement consacrée aux grandes cultures. Nous considérons que cette large zone agricole, en l’absence d’orientations appropriées la concernant dans la mise en œuvre de la réforme de la PAC, pourrait se trouver en grave danger.

Des décisions très impactantes

Selon les informations dont nous disposons, vous pourriez opérer des choix conduisant, d’une part à diminuer de manière conséquente le soutien financier aux exploitations d’élevage allaitant, dont les très faibles revenus sont notoirement connus, d’autre part à ne pas trouver pour l’instant de solutions satisfaisantes pour redonner à la zone intermédiaire à faible potentiel les nécessaires perspectives qu’elle espère. De telles décisions auraient de lourdes conséquences pour près de 10 000 exploitations agricoles de cette zone. Certains éleveurs, parmi les plus fragiles et les plus las, imagineront comme malheureusement d’autres trop nombreux avant eux, de commettre l’irréparable. D’autres abdiqueront, quittant leur ferme pour de nouveaux horizons. La jeune génération souhaitant reprendre le flambeau hésitera à s’installer et finalement renoncera, inquiète et incertaine de pouvoir sécuriser un revenu familial.

De telles décisions auraient, par effet domino, un impact négatif sur la vie économique de ces territoires : moins d’exploitants agricoles donc moins d’activité économique périphérique. Soins vétérinaires, aliments pour animaux, fournitures de matériel, services, agroalimentaire…, à elle seule, l’activité d’élevage allaitant induit quelques 5 000 emplois dans notre région dont une partie significative s’appauvrirait à coup sûr, voire disparaîtrait. Outre l’avenir des agriculteurs et de leurs familles, c’est donc de manière plus large celui de nos territoires ruraux qui est actuellement en jeu. Notre territoire pourrait connaître ici en Bourgogne-Franche-Comté une désertification accélérée, cette fois irréversible.

Une situation paradoxale

Ces perspectives seraient d’autant plus dommageables que notre écosystème et notre modèle de développement correspondent justement à ce que la nouvelle PAC tend à promouvoir, à savoir une agriculture et un système alimentaire plus durables et plus solidaires. Il n’est qu’à observer les efforts des éleveurs de notre région pour soigner leur cheptel et défendre un niveau de qualité reconnu au plan international et ce grâce à l’entretien de pâturages où paissent les bêtes à la belle saison. Il n’est qu’à admirer nos prairies bocagères et nos massifs forestiers à perte de vue pour comprendre leur rôle essentiel dans le stockage du carbone.

Loin des modèles d’élevages intensifs de plus en plus décriés, c’est ce mode d’élevage et d’agriculture qui a modelé depuis des siècles nos paysages bocagers. Par exemple, ce n’est pas un hasard si, au sein de ce vaste ensemble le Charolais-Brionnais est sur le point de présenter un dossier au Comité du Patrimoine Mondial de l’UNESCO pour y voir inscrits ses paysages comme patrimoine culturel et naturel. Mais pour continuer dans cette voie, les éleveurs en appellent à une PAC qui accompagne la transformation de la filière et leur garantisse un juste revenu que déjà la loi EGALIM avait prévu d’assurer. Sa réforme doit pour l’attribution des aides tenir compte des efforts consentis par chaque acteur, avec notamment des tableaux de bord mesurant aussi bien les évolutions que les améliorations constatées chez les éleveurs, « dans la cour de ferme » comme ils aiment à le dire…

Il y a urgence car les agriculteurs sont confrontés chaque année aux effets de l’évolution du climat, amplifiée par la pauvreté de nos sols. Plus concrètement, les espaces herbagers se transforment en véritables paillassons en période estivale alors qu’habituellement ces espaces sont dévolus à la nourriture des troupeaux. Et les cours d’eau qui contribuent à l’abreuvement du bétail présentent désormais des « assecs », inconnus des anciens.

Nous voulons ici souligner Monsieur le ministre que des décisions inadaptées auraient un effet très lourd de conséquences pour nos territoires aux paysages modelés par l’activité agricole et l’élevage. Faute d’activités économiques ou touristiques soutenues, ils perdraient en attractivité, en présence humaine et péricliteraient à l’image de certains territoires d’industrie historiques.

Donner des moyens aux volontés de transformation

Les paysans au sens le plus noble du terme, hommes et femmes du pays, ont fait la preuve sans jamais faillir de leur courage, de leur créativité et de leur résilience. Conscients des enjeux économiques, sociaux et environnementaux, ils savent se mobiliser individuellement et collectivement pour peu qu’on leur donne du temps et des moyens. Ils ne demandent qu’à pouvoir améliorer si nécessaire leurs pratiques pour répondre à l’évolution de leur environnement et des besoins de nos concitoyens tout en répondant à ce défi de faire perdurer sur ces territoires difficiles l’activité agricole que leurs prédécesseurs leur ont léguée.

La PAC, à travers ses deux piliers, offre diverses possibilités d’accompagnement d’une transition des pratiques, des productions, de la transformation et de la mise en marché des produits. Une rupture brutale serait, soyez-en sûr, fatale à nombre de nos exploitations déjà très fragiles, alors même que pour réussir la transition agroécologique, nous avons justement besoin de ressources supplémentaires.

Nous sommes prêts à saisir les opportunités qu’offre une PAC rénovée et adaptée, avec la reconnaissance et la promotion de pratiques agricoles vertueuses pour nos paysages et notre climat, la revalorisation durable des produits de l’élevage et des cultures. Nous sommes convaincus qu’il y a, notamment dans la complémentarité entre élevage et grandes cultures, des sources de valeur ajoutée à reconquérir pour notre région.

En guise de conclusion

Monsieur le ministre de l’Agriculture, il vous revient la responsabilité d’arbitrer les règles définitives d’une politique publique lourdes de conséquences. Les grands rendez-vous d’une vie sont souvent chargés d’orientation et de décisions importantes, également de symboles puissants. Tenez votre ambition et votre légitime volonté d’infléchir les systèmes d’exploitation afin que, mieux organisés, ils soient plus vertueux et plus rémunérateurs. Mais de grâce ne prenez pas le risque d’affaiblir encore les plus bas revenus agricoles. Mettez fin au découragement en étant le ministre qui aide à redonner des perspectives à ceux qui n’en voient plus, à ces jeunes qui veulent rester à la terre, Heureux et fiers d’élever leur troupeau, Heureux et fiers de faire perdurer des savoir-faire et des traditions, Heureux et fiers de vivre au Pays, en préservant les paysages, Heureux et fiers d’assurer notre souveraineté alimentaire.

Adressez un message d’encouragement, d’avenir et surtout de perspectives à cette jeune génération à laquelle vous appartenez. Elle compte sur vous ! Portez haut ses ambitions, elle a besoin de revenu, elle a aussi tellement besoin de considération !« .