Tribune Nord Sochaux : les tribunes françaises disent non à une reprise prématurée

Photo d'illustration (photo Gilles Guigon pour ToutMontbeliard.com)

Tribune Nord Sochaux, collectif de supporters du FC Sochaux-Montbéliard, communique :

« La France connaît sa pire crise sanitaire depuis plusieurs générations. De nombreuses personnes perdent la vie dans des hôpitaux plus sollicités que jamais. D’autres luttent contre un virus parfois silencieux, parfois d’une grande virulence, toujours imprévisible. Partout, l’intérêt collectif prime. De nombreux courageux prennent, tous les jours, le chemin du travail pour soigner, protéger, servir, transporter… Certains peuvent travailler à distance mais d’autres voient le labeur d’une vie glisser vers l’abîme de la faillite. La situation est dramatique, mais elle révèle aussi de belles personnalités et la force d’un collectif, résilient.

Localement, le temps du collectif. Dans ce contexte, le football est naturellement à l’arrêt. Ses forces vives, en revanche, n’ont pas renoncé à leur rôle d’acteur local. Côté supporters, ultras ou non, de nombreuses associations ont délaissé l’animation visuelle et sonore des tribunes pour mettre leur savoir-faire collectif et logistique au service de leur territoire et au service du personnel de santé. Que ce soit par les centaines de milliers d’euros collectés ou par les dons de commerces ou d’entreprises locales, les supporters récupèrent et distribuent vivres et matériels à ces soignants anonymes qui font notre fierté.

Nationalement, le temps des querelles. Loin de ces réalités dures, concrètes, loin de cette solidarité capillaire et anonyme, certaines « têtes pensantes » du football se querellent. Se querellent en privé. Se querellent en public. Se querellent dans la presse. Sur la reprise du championnat. Sur les règles applicables en cas d’arrêt des compétitions. Sur l’argent. Malheureusement, nous ne sommes pas surpris.

Structurellement, le temps du « business ». Si notre critique d’un football inflationniste, que nous qualifions de « foot business », donne parfois le sentiment d’être un slogan folklorique, la situation actuelle nous renvoie à sa brutale réalité. À sa brutale inhumanité. À sa brutale vanité. À sa brutale cupidité. À son insupportable indécence. Dans un modèle économique où tout n’est que court-terme et où l’imprévu et l’aléa sont perçus comme l’apocalypse, l’économie a achevé de prendre le pas sur ce qu’est le sport : la performance du terrain, l’exploit sportif, les valeurs, l’émotion et la passion, l’héritage collectif, le patrimoine local… Ce football se meurt de s’être arraché à ses racines et de n’être pas capable de voir plus loin qu’un exercice budgétaire, qu’une fenêtre de transferts ou qu’un contrat pluriannuel de retransmission télévisuelle. Privé de sa base et privé de toute vision économique de long-terme, le football est devenu un programme télévisuel qui a cru pouvoir se passer de stades pleins, mais qui ne peut surtout pas se passer de l’argent des diffuseurs. Collectivement, incapables de prendre de la hauteur et de prendre le pouls d’une population en souffrance, certains, au sein des clubs ou des instances sportives françaises ou européennes, ont choisi l’indécence et émis l’idée d’une reprise anticipée. Individuellement, certains se gargarisent fièrement de n’avoir touché qu’une partie de leur prime personnelle sur les droits télévisuels des prochaines saisons. Les mots nous manquent. Mais il nous en reste suffisamment pour partager notre sentiment.

Il est urgent d’attendre. Il n’est pas envisageable que le football reprenne prématurément. Il n’est pas envisageable qu’il reprenne à huis-clos. Il reprendra en temps voulu, quand les conditions sanitaires et sociales seront réunies. Quand chacun, à commencer par les joueurs et les supporters, pourra reprendre le chemin du stade dans les meilleures conditions. Humainement. Nous savons que nos arguments et nos paroles ne pèsent pas lourd face à la puissance aliénante de l’argent. Nous savons qu’à aucun moment n’a cheminé l’idée de prendre le pouls du peuple du football auprès des supporters avant d’engager ces querelles ou de prendre une décision. Mais nous avons néanmoins la prétention de le dire : le football « coûte que coûte » est un football de honte, qui n’aura aucun lendemain.

Il est urgent de penser l’avenir. S’il reste encore un peu de sens moral, d’humanité et de lucidité au football professionnel, il est urgent qu’il y fasse appel. Si le football professionnel veut restaurer sa grandeur mais s’il veut surtout se prémunir des aléas économiques, il doit profiter de ce temps de pause et de confinement pour se repenser. Pour mettre fin à cette fuite en avant inflationniste. Pour que cet afflux colossal d’argent cesse d’une part de monter à la tête des uns et d’autre part de s’évaporer dans la bulle des transferts et des commissions mafieuses. Cela ne pourra se faire qu’avec une vision à long-terme. Cela ne pourra se faire qu’en recouvrant son indépendance économique par rapport à la dictature de la loterie court-termiste des enchères entre diffuseurs télévisuels. Cela ne pourra se faire qu’en impliquant l’ensemble de ceux qui font le football, en commençant par le lieu où se vit le football : le stade.

Pour finir, nous savons que la commission de discipline a infligé, sur la saison 2019/2020, plus de 600 000 € d’amende aux clubs de Ligue 1 et de Ligue 2, notamment pour l’usage d’engins pyrotechniques. Dans une période qui appelle à la solidarité, n’est-il pas envisageable que ces amendes soient, a minima, restituées aux clubs concernés, voire reversées à des secteurs qui, aujourd’hui, en ont réellement besoin ?« .